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RERO & STEPHANE PARAIN

Le Socle 80 rue Saint-Martin
Paris (FR)

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© Clement Halborn & Philippe Martineau

Antoine Coypel

Si l’oeuvre de Coypel est profondément influencée par les codes esthétiques de la Renaissance et de la statuaire antique, elle participe au tournant du XVIIIème siècle à la transition plastique durant laquelle l’esthétique austère du Roi Soleil cède la place à une peinture plus légère, plus souriante et plus claire.

Au sein de la querelle du coloris le peintre prend le parti de la couleur, attaché à l’oeuvre de Rubens que l’on oppose à celle de Poussin, dans laquelle le dessin domine.
C’est donc le buste d’un homme élevé au rang de monument, par sa statufication même et pour son influence sur l’art de son époque, que RERO et Stéphane Parain choisissent de retravailler. Leur recherche s’articule ainsi autour des questions de transmission et de codes. Les canons des statuaires classique et baroque côtoient l’esthétique contemporaine de l’HTML sur un socle en pierre monumental, minéral et sans âge.

 

Signes

Si le code est ce par quoi l’on reconnaît quelque chose, un élément permettant de lier deux fragments afin de former un signe nouveau qui fasse sens, il importe non seulement de les redéfinir mais aussi de les décomposer, de les recomposer, d’explorer les infinis possibilités du sens et de la polysémie plastique des formes. En provoquant un dialogue entre quatre artistes (le modèle, lui-même peintre, celui qui a dressé et érigé son portrait en premier lieu et ceux qui exposent aujourd’hui), Loading invoque les problématiques du langage, tant plastique que celui du discours, et des héritages qui traversent nécessairement les pratiques actuelles.

Ce dialogue, en se posant, invite immédiatement à un nouvel échange à venir. L’oeuvre, comme extraite d’une carrière dont les strates donneraient à étudier l’évolution géologique de l’histoire de l’art, semble demander quelle sera le prochain mode d’expression à venir sédimenter la pièce, à poursuivre l’oeuvre et l’entreprise humaines.

La sculpture est aboutie, finie et se donne à voir comme telle tout en reposant sur un apparence paradoxale, entre in progress et interruption. Elle renvoie ainsi à l’esthétique de l’inachevé, aussi connue sous le terme de non finito qui marquent notamment les travaux de Michel Ange et de Rodin pour les plus célèbres. À travers une recherche de l’essentiel, de ce qui suffit, à travers la violence certaine du démembrement et de la dislocation, se pose la poésie de ce qu’il reste et de la présence, pourtant, comme pour un membre fantôme, de ce qui a disparu.

Le peintre, devenu sujet d’un puis trois bustes, voit son image ré-interprétée. Son visage a dis- paru. Reste sa bouche, comme s’il avait encore quelque chose à nous dire ; le sujet se trouve pris entre figuration, minimalisme, abstraction, disparition et métamorphose, mêlant en un seul geste parmi les plus grandes ruptures et redéfinitions qui ont rythmé l’histoire de l’art.

Par sa forme mais également par le mot qui la traverse, l’oeuvre interroge également le devenir de la sculpture. De par l’usage même du plâtre tout d’abord, qui est utilisé comme matériau fini et non comme simple modèle (avant de tailler, par exemple, en pierre). Sensible, poreux, il est susceptible d’être altéré et de se voir marquer par les empreintes du monde. Fragile et volatile par ses poussières, il se fait l’écho d’une transformation future possible, par dégradation ou par ré-utilisation.

Le terme « Loading » renvoie également aux nouvelles techniques sculpturales, que viennent notamment enrichir les techniques d’impression en trois dimensions par la médiation de pro- grammes informatiques.

 

Un géant sans visage

Le buste redimensionné, considérablement agrandi afin d’investir les 6m3 du socle qui l’ac- cueille, joue aussi avec les problématiques qui enrichissent l’art contemporain, parmi lesquelles celle de la monumentalité.

Passant de l’échelle humaine à celle de l’architecture, la pièce change de nature mais aussi de public, s’offrant généreusement à ciel ouvert, libérée des murs de l’espace muséal.
L’homme représenté, par ailleurs défiguré, prend par cette dimension nouvelle des airs de monstre sacré. Son visage a laissé place à un message traduisant un processus qui le redéfinit tout en menaçant d’effacer jusqu’aux derniers indices de son individualité, jusqu’à la dernière boucle de sa perruque, jusqu’au dernier témoin de son temps.
Il se dresse ainsi dans la ville, tel un titan anonyme interrogeant l’identité propre de celui ou à celle qui traverse l’espace public et qui le trouve sans le chercher.

 

Janus

Métamorphosé, chimère, sphinx contemporain, il semble tout à la fois demander : « Qui êtes- vous ? » et « Que devenons-nous ? ». Sans âge, sans époque, cette image (encore) humaine se pose comme un reflet de la redéfinition permanente de ce que nous sommes. Ce, à l’heure où nos actes définissent non seulement qui nous sommes mais aussi le devenir de ce qui nous en- toure, et où la responsabilité de chacun·e est engagée pour une prise de conscience collective des liens que nous entretenons au monde dont il nous appartient de prendre soin.
L’on retrouve dans cette oeuvre le goût pour les paradoxes de RERO dont les recherches s’ap- pliquent à combattre la facilité du moindre manichéisme et l’intérêt de Parain pour la réappro- priation des canons anciens dans l’art contemporain en tant qu’héritages vis-à-vis desquels la question est toujours de savoir ce que l’on garde et ce qui doit disparaître.
Ici, des éléments qui semblent s’opposer se mêlent et se fondent. Ainsi, si Loading peut ren- voyer à un processus de création, de re-création permanente sur le plan de l’art ou de l’identité, il peut aussi signifier l’effacement progressif du vivant, du particulier, du visage (dont l’on se rappelle qu’il est le lieu de la responsabilité chez Lévinas). Il renverrait alors à une tabula rasa, à une destruction ne laissant rien derrière elle qu’une étendue morte et sans relief.
L’on pense au devenir de l’Humanité au vu de la situation climatique mais aussi à l’influence globalisante du capitalisme sauvage et du modèle occidental, dont la puissance destructrice de pluralités et d’alternatives s’appuie largement sur les nouveaux médias et par la langue, l’anglais étant une composante majeure du soft power américain.
Le document blanc qui s’implante sur le buste de Coypel pourrait alors être un second visage, qui se mêle au premier. Il évoquerait alors les noppera-bo, ces fantômes sans traits, aux visages blancs et lisses du folklore japonais, mais également Janus, dieu romain du commencement et des fins. Car si Janus tourne l’un de ses visages vers le passé et l’autre vers l’avenir (que Coypel regarderait donc ici de front et d’emblée), il est également le dieu du passage. Celui du temps certes, mais aussi de celui qui s’opère lorsqu’une décision est prise, lorsqu’un choix est fait.
Loading, tout à la fois fini et en cours, imposant et fragile, nous renvoie toujours à une question dont la réponse, suspendue comme l’instant que RERO et Stephane Parain semblent figer, n’est pas encore posée. L’oeuvre est une invitation à s’interroger sur de multiples devenirs, nous renvoyant à un « un-peu-plus que nous-mêmes », à d’autres temps et à d’autres espaces, avec lesquels il nous appartient de composer.

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